Qu’est-ce que ça veut dire, cisgenre ?

Je sais bien, j’ai dit que je n’utiliserais pas le vocabulaire militant, pour des raisons de clarté, de pédagogie, pour ne pas rebuter. Je vais me tenir à cette ligne directrice, le but n’est pas d’en dévier. Il s’agit, présentement, de définir des termes qui doivent entrer dans le vocabulaire courant pour que les personnes transidentitaires soient réellement respectées. Il s’agit également de désigner ceux qui sont utilisés, mais qui sont problématiques, et pour quelles raisons ils le sont. Le vocabulaire purement militant et désignant les rapports d’oppression ou le cadre normatif ne seront pas employés, le seront seulement les termes qui devraient pouvoir être employés par tout un chacun, et qui devraient en fait être enseignés à l’école primaire.

Il m’arrive souvent de constater l’utilisation du mot « transsexuel » (ou « transsexuelle », selon le genre de la personne désignée mais aussi, malheureusement, le bon vouloir de la personne locutrice), y compris de la part de personnes alliées, amicales. La plupart du temps, le mot est lâché sans volonté de nuire, simplement parce qu’il fait partie du vocabulaire courant. Je l’ai déjà dit, je le répète en y mettant les formes : ce mot est plusieurs fois néfaste.

Premièrement, c’est un mot qui est rattaché au « transsexualisme », qui est une pathologie psychiatrique. Un trop grand nombre de psychiatres continuent de considérer que nous sommes des malades mentaux, qu’il serait alors possible de soigner ; leurs diagnostics, mensonges et tentatives curatives mènent de trop nombreuses personnes à de coûteuses pertes de temps, d’amour-propre, de santé mentale et d’argent, parfois même au suicide.

Secondement, il n’y a, en fait, rien de sexuel dans le fait de désirer une apparence correspondant au genre qui nous a été refusé à la naissance. Les catégories de genre sont arbitrairement délimitées en fonction des appareils génitaux à la naissance et de leur visibilité, mais ne nous définissent pas : le genre est en réalité auto-déterminé. Par suite, l’on peut être né avec un vagin, être un homme, et choisir ou pas une opération de réassignation afin de posséder un pénis. Ce choix est strictement celui de la personne concernée, c’est un choix intime, qui n’a pas à être jugé par autrui.

Le terme transsexuel sous-entendrait qu’afin d’être légitime, il faut aller jusqu’à l’opération chirurgicale de réassignation génitale, et que seules les personnes ayant les moyens financiers et la volonté d’aller jusqu’à cet acte lourd de conséquences seraient désignées par ce terme ; par extension, on pourrait ainsi définir une barrière sémantique entre les personnes transgenre au regard de leur intimité. Or, par définition, elle ne concerne personne d’autre que le cercle intime.

Troisièmement, il ne s’agit pas non plus d’une sexualité. Le parallèle avec les termes « hétérosexuel », « homosexuel », « bisexuel » (et autres…) tendrait à le laisser penser. Il n’en est rien : les affinités sexuelles sont tout à fait indépendantes de l’identité de genre pour les personnes trans, et toute la palette d’attirances possibles est représentée. Je suis une femme transgenre qui aime les femmes, je suis donc lesbienne ; mais j’aurais pu être hétérosexuelle (aimer les hommes), bisexuelle (aimer les deux genres), pansexuelle (aimer sans m’arrêter sur des considérations de genre)…

L’excuse de la popularité du terme transsexuel n’en est pas une. Tant que l’on nous qualifiera avec un mot désignant une maladie psychiatrique, il sera difficile pour les personnes en questionnement d’enfin sortir de leur période de doutes, il sera pénible pour les personnes concernées de se questionner sur son identité et surtout de l’accepter.

Il en est de même pour les termes issus de l’industrie pornographique, ou de cultures qui ne sont pas occidentales. La raison est évidente dans le premier cas, cela sexualise à l’extrême nos corps et nos identités, renforce les clichés et contribue à nous discriminer. Le second cas est plus pernicieux, et est issu simplement du fait que la plupart des personnes qui vont employer ces termes vont… ne pas les maîtriser. Le genre et l’identité ne sont pas des concepts qui sont perçus de la même manière dans toutes les cultures, et leur binarité est une étrangeté occidentale : la transposition de concepts culturellement étrangers à notre propre perception est donc particulièrement risquée, et facilement irrespectueuse (que ce soit envers la culture mentionnée, ou les personnes transidentitaires).

Exit donc shemales, ladyboys, kathoeys, traps, hijras, dickgirls, et autres futanari… Ce ne sont pas des désignations respectueuses.

De même, désigner une personne trans comme étant un travesti (ou une travestie) est irrespectueux de son identité. Le travestissement est le fait de se déguiser. Lorsqu’une femme trans met une jupe, ce n’est pas un déguisement : au contraire, c’est l’expression de son identité (ou plutôt, c’est ainsi qu’elle fait le choix de l’exprimer). Une femme trans aura le sentiment de se travestir lorsqu’elle devra se vêtir d’atours masculins afin de passer pour un garçon en société. La prise d’hormones n’a rien à voir avec ce terme ou sa négation, pas plus que la chirurgie ; il s’agit de l’identité de la personne, de ce qu’elle affirme et ressent.

Cessons avec ce que l’on ne doit pas dire. Que doit-on dire si l’on veut être respectueux à l’égard des personnes trans ? Que peut-on dire ?

Il existe des termes englobants, transgenre et cisgenre. Paradoxalement, c’est le terme cisgenre qui est le plus facile à définir. En latin, « cis » signifie « de ce côté-ci » ; une personne cisgenre se situe donc du côté du genre correspondant à celui qu’on lui a assigné à la naissance en fonction de ses organes génitaux visibles. La majorité de la population mondiale se déclare cisgenre (même sans connaître le mot), à tort ou à raison. Transgenre, c’est précisément l’inverse. « Trans », en latin, signifie « de l’autre côté » ; une personne transgenre se situe de l’autre côté de la barrière du genre. Le piège, c’est que comme dit plus tôt, la binarité du genre est une invention sociale de la société occidentale ; en d’autres termes, s’il n’y a pour la plupart des gens que deux genres (homme, femme), c’est en fait quelque chose de parfaitement faux. Une personne transgenre ne sera pas forcément un homme que l’on aura pris pour une femme ou inversement. Il pourra s’agir, également, d’une personne ne se reconnaissant dans aucun des deux modèles mis en vitrine (on parlera souvent de personne « agenre »), se sentant représentée par un mélange des deux (« queer »), ou encore désirant et ressentant le besoin de naviguer de l’un à l’autre (« genre fluide »).

Ces deux termes, cisgenre et transgenre, sont très importants.

Transgenre, parce qu’il est englobant. Il désigne, en fait, toutes les situations posant problème à la société, ne se confortant pas à son moule, à ses oppressions, du point de vue de l’identité de genre. Une personne transgenre aura nécessairement des problèmes au sein de la société au regard de la façon dont elle définit son propre genre.  Une personne cisgenre n’en aura pas. Elle pourra avoir des problèmes ayant trait à son genre (par exemple, une femme sera sifflée dans la rue, le fait qu’elle soit cis ou trans n’y change rien), mais pas pour son rapport à l’identité qui lui a été assignée arbitrairement à la naissance… et donc, pas parce qu’elle est cisgenre.

Cisgenre, parce qu’il définit un opposé, et parce qu’il donne un nom à ce qui fait figure de norme. Il s’agit de la même raison pour laquelle on choisit de dire « hétérosexuel » pour désigner le comportement jusqu’ici normatif. Désigner les hétérosexuels comme étant « normaux » paraîtrait effroyable aujourd’hui, pour beaucoup de personnes éduquées tout du moins. Il en est de même pour l’identité de genre : qualifier les personnes adhérant au cadre normatif de « normales » est problématique et particulièrement oppressif. Personne ne veut être considéré comme étant « anormal ».

Le terme transidentitaire est équivalent au terme transgenre, et sert pour éviter de faire des répétitions, ou plus souvent en tant qu’adjectif. Une personne travestie est une personne qui se déguise afin de paraître de l’autre genre que celui qui constitue son identité. « Trans » est tout aussi acceptable et englobant que « transgenre », de même que « cis » l’est de « cisgenre ».

Par ailleurs, toute personne concernée peut aussi décider de s’approprier les mots précédemment cités. Si une personne transgenre revendique le terme de « transsexuelle », c’est son droit le plus strict ; de même que des lesbiennes se revendiquent gouines ; de même que des gays se déclarent pédés. Le fait de se réapproprier une insulte est une pratique très forte, une technique de protection et qui a fait ses preuves… mais elle ne peut être pratiquée que par les personnes concernées. Si un gay se déclare pédé, s’approprie le mot, il peut être employé avec lui. Sinon, non. C’est aussi simple que ça, et c’est la même chose avec les termes se référant à la transidentité.

Les mots peuvent sembler n’être que des mots, mais ils orientent la pensée ; le langage est un vecteur de cognition, nous permettant de diriger notre raisonnement et de formuler nos hypothèses. C’est avec un langage précis et approprié que nous pourrons accorder à toutes et à tous le respect, que nous pourrons enfin pouvoir choisir d’être ce que nous sommes et de l’exprimer sans crainte des violences.

S’exprimer de manière respectueuse est finalement la première façon de construire un monde meilleur, à son échelle, sans forcément prendre trop de risques. C’est par la patience et l’éducation que nous parviendrons à accéder au respect de nos êtres.

15 commentaires

  1. Je dis oui ! Votre réflexion est superbe et je conserve votre blog ;)))) Eh bien figurez vous que j’aime le terme Shemale, parce qu’il désigne du fantasme de la part d’une société qui apprend à nous connaitre 😉 Oh bien sûr, je n’aime pas sa connotation 😉 Mais sentimentalement, c’est le début d’une liberté revendiquée à mon sens.

    Mais plus joli et plus sensible, j’aime le terme transgente. Qui désigne la gente. L’origine d’une société 😉

    Bravo pour vos réflexions, votre ouverture d’esprit. C’est un vrai plaisir de vous lire.
    Je suis admirative ^^

    Vous pensez au delà de l’orgueil social avec un recul très juste.

    Merci du fond du coeur de parler et de mettre des mots sur ce que j’ai du mal à exprimer 😉

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    1. Chacune et chacun se définit comme il ou elle le souhaite. Ce n’est pas moi qui forcera qui que ce soit à ne pas se qualifier de transsexuel-le, de shemale ou de quoi que ce soit d’autre.

      En revanche, c’est de la part de personne cisgenre que la dénomination n’est pas acceptable. De même qu’un gay peut s’affirmer pédé et le revendiquer, je n’ai rien contre et n’ai rien à en dire ; mais des hétéros n’ont pas le droit de le traiter de pédé (c’est une insulte).

      Par ailleurs, merci pour les encouragements et compliments. Tout cela me va droit au cœur. 🙂

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  2. Des excellents articles, je les montrerai aux gens de mon entourage qui veulent en savoir plus sur les personnes trans. De mon côté, dès que quelqu’un de cis dit « transexuel » je lui rappelle que c’est une insulte, ça les calme tout de suite x)

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    1. Merci. 🙂

      Surtout, ne pas hésiter à diffuser ces articles en effet : ils sont là pour être lus ! C’est une modeste tentative de pédagogie, et si je peux aider des gens à mieux comprendre la réalité que nous vivons, alors je serai déjà heureuse.

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  3. Merci de ces précisions. Je m’aperçois que j’employais le terme « transgenre » dans un autre sens que celui que vous lui donnez. Ce qui pourrait prêter à confusion. Je ne le voyais pas dans le sens « de l’autre côté » mais dans le sens de personnes dont l’esprit n’était pas en accord avec le sexe physique, sans jugement ni parti-pris. Merci de cet éclairage.

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  4. Merci pour cet article super intéressant.
    Une question : une personne trans peut donc être binaire ou non binaire, de même qu’une personne non binaire peut ne pas être trans? J’ai du mal à saisir la distinction entre transgenre et non binaire.

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      1. Au-delà de ces considérations, on estime souvent, concrètement, qu’une personne transgenre est une personne qui entame un parcours de transition (ne serait-ce au moins par le changement du pronom et du prénom). La non-binarité est indépendante, ne se référant finalement qu’au ressenti intime.
        On peut donc être non-binaire et trans, ou pas.

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